Un agent de conservation alimentaire qui favorise le développement du diabète

Une fascinante et inquiétante étude rapporte que le propionate, un agent de conservation couramment ajouté à une foule de produits alimentaires, provoque une hausse de plusieurs hormones impliquées dans le développement de l’obésité et du diabète.

Durée de conservation

Une des principales ­caractéristiques de la plupart des produits alimentaires industriels est leur long temps de conservation. Alors qu’un aliment cuisiné à la maison perd rapidement de sa fraîcheur et doit être consommé dans un court laps de temps, son ­équivalent acheté à l’épicerie a ­généralement une durée de vie beaucoup plus longue et peut demeurer ­comestible plusieurs jours (et ­parfois même plusieurs mois) après sa fabrication.

Cette différence provient de l’addition de plusieurs agents de conservation aux produits ­fabriqués industriellement : que ce soit les nitrates et nitrites, sulfites, benzoate de sodium, sorbate de potassium, ­hydroxyanisole et hydroxytoluène butylé (BHA et BHT) ou galate de propyle (pour n’en nommer que ­quelques-uns), ces additifs ­permettent ­collectivement ­d’allonger la durée de vie d’un très grand nombre de produits alimentaires en ­empêchant la croissance de bactéries et de moisissures ou le rancissement des graisses.

Ces agents de conservation ne présentent pas de toxicité aiguë à court terme, mais certains d’entre eux peuvent avoir des effets néfastes à plus long terme. On n’a qu’à penser aux nitrites et nitrates qui forment des nitrosamines cancérigènes suite à leur réaction avec les protéines de la viande, un phénomène qui contribue à la hausse de cancers du tractus digestif observée chez les grands consommateurs de charcuteries. L’exemple des nitrites/nitrates suggère donc que les agents de conservation (ainsi que les additifs en général) ne sont peut-être pas aussi inoffensifs qu’on pourrait le croire et qu’il est important ­d’étudier plus en détail leurs impacts sur la santé.

Le cas du propionate

Le propionate est un acide gras à courte chaîne ­largement utilisé comme agent de ­conservation en raison de sa très forte action anti-moisissure (on le retrouve dans le pain, la pizza, les ­pâtisseries, les céréales, les pâtes alimentaires, les yogourts ­aromatisés, les saucisses et certains fromages, pour n’en nommer que quelques-uns). Mais en plus d’empêcher la croissance des moisissures, le propionate se ­distingue par son étonnante ­capacité ­d’augmenter la ­production de glucose ­lorsqu’il est ­administré chez les animaux, une propriété qui est ­notamment ­utilisée pour accroître la ­concentration de glucose dans le lait de vache.

On peut cependant se ­questionner sur les effets de cette induction du glucose par le ­propionate chez les humains : ­l’hyperglycémie stimule la ­production d’insuline et le ­stockage de l’énergie sous forme de graisse, ce qui suggère que la consommation ­d’aliments ­industriels contenant du ­propionate pourrait contribuer à l’augmentation importante de ­l’incidence de personnes en ­surpoids dans la population.

Un agent obésogène

Les résultats d’une étude récente supportent cette ­possibilité et lancent un signal d’alarme sur l’utilisation à grande échelle du propionate comme agent de conservation (1). Dans cette étude, les chercheurs ont tout d’abord observé que l’ajout de propionate à ­l’alimentation ­d’animaux de laboratoire ­provoquait une activation du système nerveux sympathique, menant à une hausse rapide de glucagon et de la fatty acid-binding protein 4 (FABP4), deux ­hormones qui activent la production de glucose par le foie. Il s’agit d’un phénomène étrange, car ces hormones sont ­normalement produites ­seulement lorsque les taux sanguins de glucose sont très bas (durant la période de jeûne, par exemple). Il semble donc que le propionate dérègle ce mécanisme de contrôle métabolique et force la production de glucose même si le corps n’en a pas besoin, ce qui peut mener en cas d’exposition répétée à une hyperglycémie chronique et à une hausse marquée du risque ­d’obésité et de diabète. En ce sens, les chercheurs ont noté que l’administration répétée de ­propionate aux animaux, à des doses équivalentes à celles pouvant être consommées par les humains, mène à un gain de poids et à une résistance à l’insuline, une étape clé dans le développement du diabète de type 2.

Une étude randomisée à double insu suggère que ce dérèglement métabolique provoqué par le propionate se produit également chez les humains. Les chercheurs ont séparé les volontaires en deux groupes, soit un dans lequel les participants mangeaient un repas contenant un gramme de propionate (une quantité équivalente à celle à laquelle nous sommes exposés lors de la consommation d’aliments transformés), et un autre mangeant le même repas, mais sans l’agent de conservation. En comparant la composition des échantillons de sang prélevés à différents temps après la fin du repas, les chercheurs ont observé que les personnes qui avaient mangé le repas additionné de propionate présentaient des augmentations significatives de norépinéphrine (un marqueur de l’activation du système nerveux sympathique) de même que de glucagon et de FABP4, les deux hormones impliquées dans la production de glucose par le foie. Autrement dit, autant chez les souris que chez les humains, le propionate se comporte comme un perturbateur métabolique et peut donc potentiellement augmenter le risque d’obésité et de diabète en cas d’expositions répétées. Une autre bonne raison de cuisiner plus souvent ses repas pour mieux contrôler ce que l’on mange.


(1) Tirosh A et coll. The short-chain fatty acid propionate increases glucagon and FABP4 production, impairing insulin action in mice and humans. Science Translational Medicine, publié en ligne le 24 avril 2019.

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